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Crédit photographique Yann Defachelles

« Au ras du rouge, l'inscription » par David gé Bartoli; philosophe

 

Ni tableau, ni peinture, mais de la matière affolée qui ne colle à aucun support, qui ne s'applique à aucun dessein. Du rouge, mais ce n'est pas une couleur. C'est du pigment, qui appelle et qui hante. Des battements, oui, comme des clignements, des accents, mais ce ne sont pas des lignes, qui cernent ou qui donnent une direction. C'est de la variation en basse continue, qui délite et qui rythme.

Cela demande des égards, une intuition et une attention, singulière et flottante à la fois, non un regard pour saisir et fixer. Être au ras du rouge, c'est se glisser auprès de la matière sans vouloir la brusquer ni la contenir. Être au ras, cela veut dire laisser le rouge pigmenter l'atmosphère, le laisser glisser entre un objet-support et un sujet-regardant.

 

Être au ras, cela permet d'accueillir une inscription au monde qui ne soit ni peinture ni écriture, trop visibles, trop connues. C'est se laisser déborder de part en part par la puissance du pigment qui vous en met plein la vue, non pour vous aveugler mais pour meugler, souiller, étriller, caresser, crier, touiller, pour laisser éclater tous les accents d'une touche qui ne se répète pas, car cette touche tient du toucher. Et avoir du toucher, c'est être sensible au moindre accent de la matière, au moindre changement d'affect, au moindre crépitement d'angoisse ou de scansion qui vous dévore et vous délivre à la fois. Vous fait vibrer. Vibrer.

 

Si donc, cette matière affolée, ce rouge virulent, ces ciselures stridentes ne sont ni oeuvre de peinture ni oeuvre d'écriture, pourtant deux activités que semblent détenir l'auteur, c'est qu'il s'agit d'un geste plus furtif et plus spectral à la fois, un geste d'inscription. Ce geste effleure et laisse affleurer, il laisse des traces et non des marques. Ce geste scande l'espace mais ne le suppose pas, ne le supporte pas. Le geste d'inscription ne supporte rien. Il laisse advenir la variation imperceptible du proche et du lointain : il espace et étrange l'étendue spatiale. Le geste d'inscription est un raz de marée. Il déborde le cadre des représentations.

 

C'est pour cela, quand il y a inscription, qu'il n'y a pas à proprement parler de représentation. Ni figurale, ni abstraite. Ni expressionniste ni intimiste. L'inscription est là, non devant nous, mais hors de nous, hors de nos représentations. Ni actuelle, ni virtuelle, elle hante toujours les lieux et devance toute proposition.

 

Cette matière rouge qui vribrillonne, crépite, flammèche, donne corps à ce qui échappe à tout projet, à toute détermination intelligible, à toute construction savante. Ce corps, comme inscription dans le monde, n'est ni immanent ni transcendant. Car le corps est imminent. Ce que l'on sent, que l'on ressent, ce n'est pas une présence ou une absence, c'est l'imminence du « ÇA ARRIVE ». Avec tous ses accents : « Ça arrive ? », «Ça arrive... », « Ça arrive ! »... Au ras du rouge, il y a tous ces doutes et tous ces accents.

 

Affectant et affectés. Jamais le même, jamais non plus complètement autre. Dans le « ça arrive », il y a toujours une hantise qui déborde la perception et la cognition. Car les traces sont toujours en retenues, elles retiennent quelque chose qui ne se présente pas devant nous. Les traces qui affleurent là, comme une houle incessante de « x », comme des noeuds, des intrications, des intrigues, appellent des traces qui ne se sont pas pleinement effectuées.

 

En suspend, en suspens, devançantes, survivantes ou surgissantes, les traces sont visionnaires et ouvrent des aires de vision. La vision antécède toute vue, mais elle n'est pas une vue de l'esprit. Une vision, c'est une intuition charnelle, sensible, troublante. Et la vision de ces traces au ras du rouge rature la raison pour raviver les corps, leurs mémoires et leurs failles. Comme une fracture ouverte, ce rouge palpitant fait tache.

 

L'oeuvre de Thierry Rat, c'est l'inconnu qui lui a fait la peau... et qui se répand en-corps et en-corps.

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